vendredi 29 juillet 2016

Au Délicieux, Pully

Ce samedi 9 juillet 2016 a été organisé un repas entre bloggeurs et amis, 8 personnes au total, au restaurant Le Délicieux, à Pully, un restaurant chinois installé depuis environ une année. Qu'est-ce qui nous a ainsi attirés là-bas particulièrement? Eh bien l'opportunité de découvrir une cuisine chinoise différente. Globalement, nous apprécions tous la cuisine chinoise mais sommes lassés de trouver la même carte un peu partout, les mêmes préparations d'une cuisine chinoise standardisée à nos petits goûts helvètes (je n’entamerai pas à nouveau le débat).
Au Délicieux, le chef, originaire de Hong-Kong, aime manifestement véritablement ce qu'il fait.
Du coup, quand un groupe d’hurluberlus lui demandent de faire une proposition de menu vraiment typique et traditionnel, prêts à assumer le choc culturel, il accepte et se met en quatre pour nous concocter un repas vraiment représentatif. Le menu a été élaboré sous l’œil expert d'un certain Kwong Tran (Foodaholic) qui est un habitué du restaurant et surtout fin connaisseur de cuisine chinoise; pour ce repas, nous aurons donc une soupe, quatre entrées, neuf plats et un dessert.



Le Délicieux est un joli petit restaurant, situé au centre de Pully, très facile d'accès, à l'entrée d'une zone piétonne calme. La devanture est tout ce qu'il y a de plus simple, quelques tables et chaises sur la terrasse et un intérieur bien aéré, assez petit, dans des tons blanc, noir et rouge, assez sobre et joli, aux tables pas trop serrées, noires, dressées tout en simplicité et entourées de sièges confortables.
La carte "normale" du Délicieux est assez simple, proposant les standards habituels mais réalisés avec soin (dumplings maisons, sauces et préparations maison; cela fait la différence), et quelques plats moins fréquents tels que le poisson vapeur et autre sélection de spécialités plus intéressantes et moins habituelles, à prix tout à fait raisonnable.
En parallèle et depuis peu, une carte de plats sur demande est proposée et à n'en point douter, c'est là que le Délicieux pourra se démarquer. Ces plats ne sont pas sur demande car particulièrement raffinés ou avec des produits particulièrement riches, non, mais juste parce qu'ils sont vraiment très traditionnels et demandent un temps de préparation et des ingrédients plus particuliers. Toutes les cartes sont disponibles sur leur page Facebook, et cela mérite d'y jeter un coup d'oeil.


Ne perdons pas de temps et passons au repas qui, vous le verrez, ne nous laissera plus-même la place, à l'image de Mr Croesote, pour une "thin mint".


On commence avec une « Soupe aux ailerons de requin ». Un bouillon exhalant essentiellement des odeurs de sauce soja, de sésame et de champignons shii-take et poivre, de consistance assez épaisse, généreusement garni de poisson en morceaux relativement petits et effilés sous l'effet de la cuisson, de champignons shii-take et de vermicelles croquantes entre autres ingrédients. La saveur du poisson est délicate et peu marquée, la chair est blanche et assez dense. C'est la première fois que je goûte à une telle soupe très bonne, quoique le requin aurait pu être de l'aile de raie sans que l'on n'en voie la différence.



Puis arrivent les entrées:
D'abord une salade de méduse. Si cela paraît impressionnant de manger un tel produit dans nos contrées, c'est pourtant une denrée passablement consommée en Asie. C'est d'ailleurs la seconde fois que je peux en déguster, la première ayant été une découverte londonienne relatée ici.
La créature a été découpée en filaments assaisonnés de manière très simple avec un peu de sel, sûrement un peu de vinaigre et des saveurs peu prononcées. Il en résulte une salade d'une grande fraîcheur, une texture sensiblement croquante avec un côté presque-même désaltérant.



Une salade d'algues et peau de tofu. Jolie salade, la peau de tofu donne une saveur ronde aux algues un peu iodées et croquantes. Parfumée essentiellement de feuilles de coriandre et de cacahouètes, l'association fut une surprise vraiment plaisante et changeant des sauces habituelles de salades d'algues.

Un plat garni de lamelles de tofu soyeux et d'oeufs de cent ans. Connaissez-vous ces œufs étonnants? une délicatesse asiatique, qui ont été oubliés dans un mélange de boue riche en chaux, de paddy (riz non décortiqué), de cendre, de sel et de feuilles de thé; puis laissés fermentés jusqu'à ce que le processus les « cuisent » progressivement. Le résultat est assez étonnant: le blanc de l’œuf devient noirâtre translucide tandis que le jaune vire au vert. Certes, cela paraît peu ragoûtant, d'autant qu'il faut souligner que cela dégage une odeur plutôt forte et soufrée au moment de l'écaler. Passés ces détails, la saveur est celle de l’œuf, en plus prononcé, avec un petit quelque chose de balsamique en arrière bouche. Le goût n'a rien de la violence de l'odeur (toutefois vous remarquerez très vite qu'en manger un comme un œuf dur vous conférera une haleine de chacal malade durant quelques heures). Bref, le plat présente les œufs assez finement émincé sur des tranches de tofu soyeux, le tout parfumé d'une sauce douce-acidulée au soja. Le résultat est très gourmand et ôte toutes les caractéristiques répulsive de l’œuf de cent ans: la fraîcheur fade du tofu se mêle harmonieusement à la puissance de l’œuf.
N'oublions pas ma fascination maladive pour le processus de fermentation et les produits qui en résultent... une entrée qui n'a pu que me combler.

Quatrième entrée, autre délicatesse, les pattes de poulet. Servies dans des paniers vapeur, les pattes ont manifestement été confites dans une sauce soja riche et sucrée, avec sans doute une pointe d'alcool. La dégustation se fait de façon particulière puisqu'il faudra « sucer » les pattes pour en extraire la chair gélatineuse entourant les os. Certes, ça vend pas du rêve dit comme cela, mais c'était une vraie découverte et le résultat était d'une grande gourmandise!

Après ces entrées un peu en mode « warrior », on poursuivra le repas avec des plats visant toujours autant à la découverte d'une cuisine chinoise plus authentique et traditionnelle, 9 au total, servis plus ou moins tous en même temps.

Du gâteau de riz au chou chinois piquant. Le gâteau de riz est une préparation à base de farine de riz cuite très longtemps pour obtenir un certain moelleux. C'est naturellement assez fade en goût et s'apprécie souvent en soupe ou servi en sauce assez relevée, relevée, au chou chinois mariné dans une sauce piquante, peut-être un peu fermentée du genre « kimchi » coréen. C'est plaisant et j'aime bien la texture de ce gâteau de riz.

Un plat de moules, sautées au gingembre et poireaux. C'était étonnant de se voir servir des moules en restaurant chinois mais elles étaient excellentes, correctement cuites et de très bonne qualité et les saveurs étaient fraîches et délicates.



Un plat de tripes sautées à la sauce piquante (j'vous vois en train de verdir). Les tripes sont parfaitement préparées, manifestement mijotées longuement dans une sauce un peu relevée et acidulée, augmentée de quelques tranches d'oignon, poireau, carottes, poivrons, ce qui les rend très moelleuses et vraiment imbibée de cette sauce donnant beaucoup de saveur.


Moins audacieux mais différent des habituelles fritures, des travers de porc marinés dans une sauce un peu relevée apparemment à base de vin de riz, du piment, haricots noirs fermentés, le tout cuit vapeur. Le résultat est très tendre et plein de saveur.



Des calmars sauce shasha. Des calamars parfaitement cuits, très tendres et savoureux, dans une sauce pleine de saveurs, à base d'huile de soja, ail, échalote, piment et poisson séché. C'est très riche en goûts.



Un poulet fermier cuit vapeur, servi froid, accompagné d'une sauce au gingembre et oignon nouveau. C'est très délicat en bouche, la viande est très bien cuite, encore bien moelleuse. Un plat que je connaissais déjà et que j'apprécie beaucoup.

Autre plat très doux, l'omelette vapeur au porc haché. Jolie préparation, fine en bouche, légère et mousseuse, c'est frais et plaisant.

Une assiettes de langues de canard frites au sel et poivre. La première fois que je goûte à cette délicatesse, ma foi vraiment très plaisante, augmentée de petits légumes sautés. La langue de canard n'a pas de saveur autrement prononcée mais la préparation est vraiment excellente. Dans le canard comme dans le cochon, tout est bon.

Enfin, un plat de nouilles "He fen" sautées. Les nouilles He fen sont des nouilles de riz irrégulières car la pâte est préparée à la main et découpée au couteau. Elles étaient ici sautées avec des petits légumes et des morceaux de bœuf marinés, avec une sauce à base de soja. Si les nouilles sautées ne m'intéressent généralement pas vraiment, il faut admettre qu'ici, c'était vraiment un plat à part entière vraiment délicieux.

Autant dire qu'il a fallu s'accrocher pour finir tout cela: tous les plats étaient comptés à 1.5x leur quantité. Nous nous sommes naturellement abstenus d'ajouter à cela du riz, où aurions-nous pu le mettre?

D'autant qu'avec ce menu, il y avait un dessert plutôt intéressant. Un boule de glace aux haricot mungo avec des beignets de gelée de lait. On commence à connaître la glace aux haricots rouges azuki et celle au haricot mungo suit le même principe. Probablement faite maison, la glace n'est pas trop sucrée et assez consistante. De couleur vert pâle, on y trouve de petits morceaux de haricots réduits grossièrement en purée. C'est agréable et rafraichissant. Les beignets, une fois ouverts en deux, laissent entrevoir une pâte de lait sans doute préalablement épaissie à la farine de riz puis légèrement gélifiée. Le dessert n'était pas transcendant (et peut-être un peu de trop, admettons-le) mais néanmoins agréable, original et bien réalisé.

Durant tout le repas, nous avons bu du thé froid maison, très rafraîchissant et agréable et nous avons conclu le repas par un café. Le tout nous est revenu à env. 90.- par personnes. Notons que nous avions à cœur que les produits choisis soient de qualité: poulet fermiers, fruits de mer frais, produits du marché, etc... Ajoutons encore que les préparations étaient maison et que les sauces-même m'ont semblé maison, contrairement à l'essentiel des restos chinois que l'on trouve par chez nous qui jugeront plus pratique d'ouvrir un bocal.

C'est véritablement agréable de pouvoir découvrir une cuisine chinoise plus vraie, plus populaire et traditionnelle, bien loin des standards habituels de bœuf caramélisés et autres poulet à l'aigre doux. Rappelons que s'il s'agissait certes d'un menu exceptionnel, ces plats et bien d'autres sont disponibles sur demande et, à n'en point douter, si un client ayant voyagé en Chine vient auprès du chef avec une demande très typique découverte lors de son périple, ce dernier veillera à contenter ses attentes et, qui sait, ajoutera peut-être le plat en question à sa proposition sur demande.

Merci à Kwong de Foodaholic d'avoir organisé ce repas et aux convives (dont Lukas de Guerilla Gourmande et Nathalie de La Semaine d'une Gourmette) présent ce jour de l'avoir rendu si joyeux!

Avenue du Prieuré 21
1009 Pully
Vaud, Suisse

lundi 25 juillet 2016

Une année d'absence...

Vous l'aurez remarqué, je ne suis plus très actif sur ce blog...
Non que je me désintéresse du monde de la table et du goût, nous en sommes bien loin. Au-delà de questions de temps et de priorités dans le vie, je dirais que je n'ai pas eu d'expérience qui m'ont donné envie d'écrire: je suis peu allé au restaurant et rien (ou presque) n'a été une véritable découverte... et écrire une énième fois sur un énième repas dans des restaurants de la région déjà fortement commentés ne me motive - tout du moins pour le moment -  plus vraiment... Cela peut changer, mais pour l'heure, à moins de voyages ou de véritables découvertes (ou déception particulière), je ne pondrai sans doute pas un de mes pavés dont j'ai le secret (fondamentalement, je vais même essayer de faire des articles plus brefs, vous y croyez, vous?). Je veux avoir du plaisir à écrire et partager, ne pas en faire un "travail". J'aime écrire et partager, lire les réactions et y répondre, débattre et discuter et je veux que cela le reste, c'est pourquoi le rythme a baissé sérieusement et ne sera sans doute plus aussi soutenu qu'auparavant.

J'ai eu néanmoins deux expériences vraiment très plaisantes durant cette année d'absence. Le temps ayant toutefois passablement passé, il me serait trop difficile d'en faire une revue complète, dommage, car cela aurait mérité un petit article. Je me contenterai de les citer, ainsi qu'énumérer et illustrer les plats dégustés, plus pour le souvenir et, peut-être donner envie, que comme une réelle revue comme j'en ai l'habitude.

En juillet 2015, j'ai apprécié un repas à La Table de Mary, à Cheseaux-Noreaz, un restaurant à jolie réputation où officie Maryline Nozahic, qui, pour ne citer que quelques distinctions, a reçu le prix de découverte romande en 2005, et a été élue en 2012 cuisinière de l'année et qui poursuit son envolée avec une cuisine créative et raffinée qu'elle perfectionne d'année en années. Son mari, Loïc, officie en salle et propose à sa clientèle des vins d'ici et d'ailleurs, de toutes gammes de prix mais toujours de belle qualité. Le lieu possède une très belle terrasse et l'intérieur est fort agréable, recevant toujours des expositions d'artistes dans un cadre vert pomme et aux détails boisés originaux. Un menu d'anniversaire, proposé par la cheffe selon son inspiration, en tenant bien compte des préférences de chacun et en proposant pour chaque plat un choix poisson et un choix viande. Le repas était accompagné de très bon pain complet et aux graines et les vins suggérés ont été de très bel accompagnement: avec les entrées, un Viognier neuchatelois du Domaine de Montmollin, avec les plats, un St-Joseph "Parcelle de Jean", 2012



Amuse-bouche: Rillette de sandre à l'aneth sur un parmentier au pesto
Entrée poisson:Thon rouge snacké, petite ratatouille, jus safrané, coulis de tomate très réduit, caviar d’aubergine, le Sud en bouche
Entrée viande: poitrine de canard de Cheseaux-Noréaz, fumée, en carpaccio, saladine fraîche, huile de noix
Plat viande: Mignon de Pata Negra cuit basse température, ravioles de chanterelles, chanterelles et haricot coco poêlés
Plat poisson: queue de lotte, riz venere et jardinière de légumes, beurre citronné, le tout très bien exécuté et très fin

Dessert: Tourte feuillantine au chocolat, crème brûlée passion-framboises, glace aux amandes, un délice
...
et avec le café, de sortes de roses des sables faites de fruits secs et à coque enrobés de chocolat

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Cette année 2016, en mars, j'ai découvert un restaurant où je me dis depuis longtemps qu'il me faut y faire un tour, Le Moulin d'Assens (à Assens, hein?), situé au bord du Talent, dans un environnement de nature très rafraîchissant. On y trouve une cuisine de saison, essentiellement axée viande puisqu'il s'agit d'une rôtisserie. On appréciera l'intérieur rustique décorée de façon élégante où se mêlent bois, pierre, draperies et cuivre de cuisine. On est accueilli en salle par Daniela Laval, énergique, charmante, affable et hyper professionnelle, qui mène le bal auprès des clients, tandis que l'on appréciera voir officier en salle, au coin de la cheminée, son mari Alain qui excelle dans la préparation de la viande et qui la sélectionne et la prépare avec une attention et une précision absolue. En saison de chasse, on y trouve des proposition largement moins standards que dans la plupart des restaurants et sans doute avec des viandes de bien meilleure qualité et, chaque année, il propose un menu exceptionnel autour du gibier qui devient un point de rencontre de connaisseurs. C'était un menu d'anniversaire magnifique, accompagnés de vins (très bien) choisis dont je n'arriverai pas à me rappeler des références (malheur). Bref, j'aurai grand plaisir à y retourner




Entrée 1: soupe d'orties, joue de sole, crudités divers
Entrée 2: foie gras de canard maison, rhubarbe en chips, confit et en chutney
Présentation du plat: les côtes de bœuf du Simmenthal de qualité exceptionnelle
Ici servi une fois apprêtés, avec une sauce de viande magnifique, un os à moêle et une pomme rôtie. Un pain excellent et une sauce béarnaise maison accompagne ce plat
Farandole de desserts maison (tous somptueux): mousse framboise sur biscuit sablé; fondant chocolat; churros et crème de mangue; opéra café chocolat; sorbet mangue; gâteau chocolat blanc.mangue et au centre, crème brûlée à a mangue
Grignotage avec le café: des noix, des pistaches, des noisettes et des amandes au sucre

Et avec l'addition, mini-financiers, petits sablés aux fruits, tuiles caramélisées
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Suivra très prochainement un vrai article sur un restaurant... chinois. Eh oui, aussi étonnant que cela puisse paraître (d'autant que ceux qui me connaissent ou me lisent depuis quelques temps connaissent ma position sur les restaurants chinois du coin), j'ai récemment eu une véritable expérience au cours d'un menu absolument gargantuesque à la découverte d'une cuisine plus traditionnelle et authentique. Je n'en dis pas plus, vous lirez bien!

Au passage et pour conclure ce post, j'adresse mes remerciements à mes lecteurs qui, étonnamment, ne décroissent pas et parfois me contactent-même en privé pour me poser des questions. C'est toujours un plaisir de partager avec d'autres curieux, intéressés ou passionnés du monde du goût!

vendredi 28 août 2015

Lucky Leek, Berlin

Troisième et dernier repas berlinois de mon séjour, ce 2 mai au soir, et ce soir-là, une véritable première!



Si quand on pense à l’Allemagne, on pense naturellement à bidoche et bibine, on remarquera assez rapidement, comme expliqué dans mes deux précédents articles, qu'à Berlin, c'est une autre histoire. Une autre histoire à tel point que Berlin est devenue, si j'ose dire, presque une capitale européenne du véganisme. Pour la faire brève, si vraiment il faut l'expliquer, il s'agit de ce mode de vie rejetant catégoriquement toute forme d'exploitation animale (nourriture, cosmétiques, vêtements, etc....). Une tendance marginale qui, à Berlin, a su prendre racine et faire de plus en plus d'adeptes véritablement vegan ou simplement offrir quelque chose de différent à qui correspondrait à l'appellation actuelle de flexitarien. Et généralement comment faire des adeptes ou sympathisants? eh bien simplement en proposant des restaurants qui démontrent que la gastronomie et le goût n'est pas réduit au ingrédients d'origine animale et que goûts, couleurs, textures, voyages et découvertes sont bien présents dans une cuisine vegan, qu'elle soit simple et ménagère comme gastronomique.



Notre destination du soir a mis à genoux plus d'un viandard, et malgré la tendance profondément « viande » de deux des convives à notre table, c'est (et de loin) le restaurant qui a remporté le plus de succès, élevant la cuisine vegane à un niveau de gastronomie vraiment haut. D'ailleurs, la communauté végane à échelle internationale connaît ce lieu, géré par la jeune cheffe, Josita Hartanto, nommé le Lucky Leek.



Josita Hartanto n'a pas ouvert un resto vegan par hasard. Elle a travaillé comme chef dans l'un des premiers restaurants végétaliens à Berlin avant d'ouvrir son propre restaurant. Très vite, elle a reçu un accueil des plus réjoui de la communauté végane et plus encore. Voila aujourd'hui bientôt 5 ans que l'adresse existe et ne désemplit pas. Ingénieuse, créative et inspirée, qui ne cherche pas, comme beaucoup le font, à « imiter » la cuisine classique, mais mêle, créé, agence avec suffisamment de sagesse et de savoir-faire pour que l'absence que quelque produit d'origine animale passe inaperçu. elle a su faire répandre son nom internationalement, aidée qui plus est pas les livres qu'elle a publiés, très beaux livres au demeurant, malheureusement introuvables en une autre langue qu'en allemand.



Bien que situé non-loin de notre première étape de notre séjour berlinois, donc de la nerveuse Eberswader Strasse, rien n'y paraît: encadrée de larges trottoirs parcourus d'arbres, la Kollwitzstraße donne l'impression d'une rue de banlieue sans histoires, résidences, petits magasins, restos, parmi lesquels se trouve le Lucky Leek. Une belle terrasse fort bien aménagée, entourée de d’arbustes variés dans des bacs en bois, mobilier noir ou bois, chemins de nappe jaune, cette dernière aurait été bien agréable s'il n'avait pas fait si froid. Les grandes vitres laissent deviner une lumière chaleureuse à l'intérieur, et une décoration dans les tons.



À peine entrés, nous nous retrouvons devant un bar fleuri, une statuette du Bouddha,et des serveurs souriants. Les murs sont blancs, ponctués d'autocollants noirs à motifs végétaux, parfois de panneaux écrits en français ou en anglais; un peu partout, des plantes. Une petite salle sur la gauche, dont une paroi revêt un beau miroir. En longeant le bar, on montera quelques marches décorées d'une très jolie étagère à vin pour arriver sur un mi-étage aménagé en salle. De petites tables de bois foncé, dressées simplement mais élégamment, entourées de sièges noirs. Les cuisines se trouvent en sous-sols et exhalent de parfums appétissant. Une ambiance vraiment plaisante.






Le restaurant est comble, familles, amis, couples, toutes générations confondues. On est néanmoins vite et chaleureusement pris en charge et menés à notre table. On nous apporte les cartes et nous propose à boire.

Un coup d’œil à la carte à suffi à me réjouir. Changeant à l'envie de la cheffe, il n'y a que deux choix à faire, un troisième subsidiaire: le menu 5 plats ou le menu 3 plat, toujours présentés comme des triptyques, tous deux proposés avec vin d'accompagnement. ça sent le frais, la saison, la créativité, la spontanéité et le travail. Aussi allons-nous découvrir l'entier de la carte, puisque 3 convives choisiront le menu 3 plats (dont un convive avec vin d’accompagnement) et pour ma part, je prendrai le menu 5 plats. C'est donc un aperçu de l'entier de la carte que nous allons pouvoir explorer.

On commencera par un très joli duo de mises en bouche: d'un côté, une quiche aux épinard très riche en saveurs, pâte fine saupoudrée de sésame, légèrement rougie à la tomate, ce qui pourrait presque donner l'illusion de jambon, une liaison savoureuse maintient les épinards (frais, au goût) pour une bouchée parfaite. La seconde mise en bouche est présentée dans une cuillère. Il s'agit, sur le fond, d'un houmous volontairement laissé assez grossier et pas franchement mixé (fait clairement avec des pois chiches secs et non en boîte, le goût ne trompe pas), augmenté d'herbes et de morceaux de tomate, ainsi que d'une bonne huile d'olive. Plantée dans cette préparation, une longue lamelle de concombre farcie de fromage frais et crémeux de soja aux herbes. C'est vraiment savoureux, gourmand et déjà, dans ces amuses bouche se trouve un très grand travail.


Puis le repas commence. Je serai seul avec une assiette en face des yeux au début: forcément, c'est le jeu quand on prend un menu plus long que le reste de la table.

Nommée « Maki de betterave cuite, concombre au miso, lentilles beluga », c'est une très belle assiette qui m'arrive (la photographie ne lui rend pas justice). Au centre de l'assiette, les makis font très envie, un riz bien fait, vraiment à la japonaise, justement vinaigré entoure une douce et moelleuse betterave cuite et découpée en tronçons. Autour, une bonne feuille de nori, le tout enrobé d'une très fine chapelure « panko » au sésame. On ne sent rien de gras, rien de frit, malgré (naturellement) que cela soit passé dans la friture. Le concombre au miso est cru, froid et mariné. Il garde un peu de croquant et derrière la fraîcheur du légume, la délicatesse d'un miso blanc pour un accord savoureux, saupoudré de panko au sésame apparemment légèrement rôti. Ces lamelles trônent sur un peu de lentilles beluga cuites à la perfection, aux saveurs d'épices difficilement identifiables. Le tout est entouré de quelques pointes de mousse de betterave et de concombre, du gingembre mariné maison en juliennes, une longue et fine julienne de betterave délicatement frite, deux lamelles d'avocat et une sauce soja légèrement vinaigrée. Cette assiette m'a particulièrement intéressé car sans connecteur logique entre les ingrédients dans l'intitulé, cela forme un ensemble étonnant qui m'a donné un plaisir assez inattendu.


Avec cette assiette, un vin du domaine Weegmueller, famille aux lointaines origines helvètes, un Weisser Burgunder 2012, blanc sec et joliment fruité, sensiblement pétillant, aux notes légères de framboise.

2ème vague de plats.

L'entrée du menu 3 plats est une crème de fenouil remarquable, aux saveurs riches et équilibrées, bien épicée, avec une pointe d'agrume offrant un joli pep's de l'huile piquante. Sur le côté de l'assiette, une cuillère contient une marmelade de carotte étonnante, pas trop sucrée, avec toujours un caractère « racine » mais d'une grande gourmandise, sur laquelle se trouve une boulette de champignon shiitake moelleuse, croustillante autour, à la saveur intense, presque viandesque, propre à ce champignon, qui parviendrait probablement à tromper un amateur de viande. Une très belle assiette!




Ma seconde entrée sera un « consommé printanier ». Bouillon de légumes tout à fait savoureux, augmenté de dés de tomate, d'oignon frais et de basilic jetés au dernier moment dans l'assiette. au centre, un cannelloni à la pâte fine et fraîche de très belle facture, farci d'une préparation épaisse et liée au pak choi d'une très grande gourmandise. Beaucoup de finesse dans les saveurs.
Nous partagerons le même vin pour les deux menus , un vin de la maison Neumer à Uelversheim,  2013. Un Sylvaner vif et frais, aux notes d'agrumes et à la finale douce.


Puis ma troisième entrée arrive, à nouveau très esthétique et de saison: au centre du mets un risotto qui, s'il était peut-être (très) sensiblement un peu surcuit à mon goût, avait une saveur magnifique. Lié avec une crème de petits pois, riche en ail d'ours et augmenté de lamelles d'asperge verte, c'est un hymne à la saison et au manger local juste augmenté d'un twist étonnant mais concluant de cardamome verte. Alentour, on trouvera des feuilles d'ail d'ours, des pointes d'asperges blanches, des juliennes de carottes, des vermicelles de riz frites et une croquette délicieuse de champignon de Paris. Un bonheur qui sera accompagné d'un verre de Riesling de la Weingut Immich Batterieberg, « Mosel Riesling Kabinett », 2013, un vin assez pétillant, très minéral, aux notes de pomme verte.


Puis viennent les plats. Les autres convives auront des raviolis « Mezzelune » à la tomate, une pâte à nouveau clairement fraîche et faite maison, vraiment très bien réussie, barbotant dans une sauce au paprika savoureuse et gourmande. Trône au-dessus de cela une feuille de chou chinois à la farce qui me restera étrangère mais qui développera d'étonnantes saveurs de saucisses au chou (je rappelle que l'on est dans un restaurant vegan). Pour compléter l'assiette, des légumes grillés (courge, courgette), un peu de chou chinois juste revenu et une brunoise de courgettes et poivrons, juliennes de carottes. Pour dérouter encore un peu plus, une croquette de « feta » vegan à base de tofu dont la texture est véritablement trompeuse et des saveurs joliment acidulée qui pourrait faire illusion. Une assiette impressionnante dont le vin d'accompagnement sera, cette fois, italien, de la maison Tenuta de Angelis, un Rosso Piceno Superiore DOC 2010, assemblage de Montepulciano et de Sangioviese couleur rubis, très porté sur le fruit rouge assez concentré, cerise, baies sauvages, avec une belle structure et un bon équilibre.


Mon assiette n'aura toutefois pas à rougir de cette dernière; elle aura comme ingrédient central le seitan. Ceux qui me suivent ou me connaissent un peu savent que je suis un amoureux d'une drôle de bête, le seitan, présent en plusieurs endroits sur mon blog, avec deux méthodes de fabrication, ici, et (augmentée d'une recette), et probablement l'un de mes plus gros délires que vous trouverez par là.
Il se présentera donc ici sous forme de tournedos. Le seitan, devenant si facilement gommeux au point où parfois on peut avoir l'impression de mâcher du pneu, est ici réalisé à la perfection. Il a une saveur très délicate, sans doute préparé dans un bouillon aromatique puis grillé de parts et d'autres, entourée d'une fine tranche de courgette pelée (donnant l'illusion du gras du tournedos) et placé sur une crème d’artichaut d'une très grande finesse. De l'autre côté de l'assiette, une "tartelette" d'aubergine. A nouveau entourée d'une rondelle de courgette, une superposition de fine pâte un peu sablée et d’aubergine très moelleuse pochées à nouveau dans un bouillon très parfumé. Viennent compléter le plat un coulis de tomate très concentrée et goûteuse, une petite confiture d'airelles et d’oignons, une petite ratatouille, des morceaux de fenouil légèrement frit . Le tout formant presque étonnamment un ensemble très cohérent pour énormément de plaisir. Splendide!
Un Bordeaux pour accompagner ce plat, un château le Bel « Franc de Bel », 2012, pur Cabernet Franc de petite production, agréablement boisé, un peu toasté, frais et fruité, d'une grande élégance.



Non qu'il fasse encore faim, un tel repas mérite un dessert! Dessert qui n'auront rien à envier, d'ailleurs, à ce qui les a précédé.

Les « petites dîneuses » auront droit à une « tartelette choco-cassis », presque semblable à une tourte, alternant de très fines couches de génoise excellents et de masse mousseuse de chocolat intense et de cassis frais, le tout sur un feuilleté-caramélisé. A côté, une quenelle d'une régressive glace au cookie, le tout est complété par une mousse au lait de coco et un cube à la framboise, avec une petite présence d'un fantastique crumble à la pistache. Un dessert beau et savoureux. En accompagnement, un rouge doux, dont la référence m'a échappé.





Pour ma part, une quenelle de glace caramel sur un même crumble à la pistache encore tiède. Une sorte de macaron savoureux au chocolat intense farci de cette savoureuse mousse de coco, nappée de sauce caramel très foncé (faisant penser à du fudge), de couronné de dés de carambole qui, ici et pour une fois, n'est pas employé juste pour son esthétique mais pour le côté frais et parfumé qu'il apporte. Enfin, un dé fondant aux saveurs de banane grillée surmonté d'une rondelle d'orange caramélisée. Formidable, accompagné d'un Riesling doux dont les références me manquent, mais qui fut parfait avec ses saveurs très fraîches derrière un certain gras.





Malgré la quantité des plats et de vins, il faut souligner que c'était un repas irréprochablement bien rythmé, encadré d'un personnel serviable, d'un très grand professionnalisme, sans oublier la pointe d'humour et les tentatives ma foi plutôt bien réussies de nous parler français.

Vous l'aurez compris, Lucky Leek est le coup de cœur général de ce séjour. J'appréhendais surtout cette visite pour mes convives; que nenni, elles on adoré en tout point. Bluffés jusqu'à l'os par cette créativité, cet esthétisme et finesse, on oublierait presque que l'on se trouve dans un restaurant vegan, donc que tout ce qu'on a consommé ce soir fut sans la moindre utilisation de produit d'origine animale. Le seul indice serait peut-être que même après tout cela, on ne se sent pas "tassé", mais réjoui et confortable.

On fera durer un peu le plaisir avec du très bon thé, servi en vrac, deux sencha, et un Earl grey. Avec les boissons, ce repas nous reviendra à EUR. 211.80.

Lucky Leek n'est pas un lieu qui laissera flegmatique. On y sera surpris, réjoui, interpellé. Bref, je doute que l'on puisse rester insensible à ce lieu.

Kollwitzstraße 54
10405 Berlin
Allemagne